Les contaminants chez les poissons en atlantique et en méditerranée


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Les contaminants chez les poissons de l’Atlantique et de la Méditerranée : origines et hétérogénéités des pollutions


La contamination des poissons par les éléments traces métalliques (qu’on appelait métaux lourds par le passé) et autres contaminants comme les Polluants Organiques Persistants POP’s (PCB & dioxines) est une problématique environnementale et sanitaire majeure. Les métaux, tels que le mercure, le cadmium, le plomb et l’arsenic s’accumulent dans les écosystèmes marins, du plancton aux mammifères et menacent la biodiversité ainsi que la santé humaine.

Les poissons de l’Atlantique et de la Méditerranée sont exposés à ces polluants, mais les niveaux de contamination sont souvent plus élevés en Méditerranée. Avant de s’intéresser à ce cas particulier, il est nécessaire de comprendre les mécanismes sous-jacents contaminant les poissons.

Les raisons biologiques de la pollution des poissons aux métaux

La contamination des poissons par les métaux et POP’s est le résultat de 3 processus biologiques et écologiques complexes et dont les effets s’additionnent. Ces mécanismes permettent aux métaux lourds de pénétrer, s'accumuler et se concentrer dans les organismes aquatiques, y compris les poissons. Voici les principales raisons biologiques qui peuvent expliquer cette contamination :

1. La Bioconcentration

La bioconcentration est le processus spécifique par lequel les métaux lourds se concentrent directement à partir de l’eau dans les tissus des organismes. Les métaux lourds présents dans l’eau pénètrent dans les poissons par diffusion passive ou active à travers les branchies. Ces métaux se lient à des protéines ou des lipides dans les cellules, ce qui empêche leur élimination rapide. La bioconcentration est cependant un mécanisme qui affecte plus les espèces animales en bas de chaine alimentaire (par exemple le plancton ou les filtreurs), qui deviennent ensuite des proies des poissons, et les contaminent par bioaccumulation.

2. La Bioaccumulation

La bioaccumulation est le processus par lequel la contamination des organismes marins augmente graduellement au fil de la vie des individus, du fait de leur exposition continue aux contaminants, principalement du fait de leur consommation de proies (plancton, invertébrés ou autres poissons) elles même contaminées. Chaque fois qu’un poisson mange ces proies, il accumule tout ou partie des contaminants contenus dans ces proies, d’où une accumulation graduelle, principalement dans les muscles, les tissus gras, ou le foie.

Les espèces longévives sont des poissons ayant une durée de vie importante (espadon ou requin). Du fait de la bioaccumulation, cette spécificité biologique explique pourquoi les poissons qui vivent le plus longtemps accumulent davantage de polluants dans leurs tissus.

D’autres espèces, quant à elles, présentent un métabolisme lent, réduisant ainsi la capacité naturelle du corps à éliminer les toxines et donc in fine d’augmenter leur charge en contaminants.

3. La Bioamplification (ou Biomagnification)

La bioamplification est le processus par lequel les concentrations de contaminants augmentent à chaque niveau de la chaîne alimentaire. Les organismes situés à la base de la chaîne alimentaire, comme le phytoplancton ou les mollusques, absorbent les contaminants directement depuis l’eau ou les sédiments mais à des niveaux faibles. Par la suite, les prédateurs qui consomment ces organismes accumulent les polluants présents dans leurs proies.

À chaque niveau trophique, la concentration augmente, car les prédateurs consomment des proies de plus en plus contaminées. Le méthylmercure, la forme organique de mercure principalement retrouvé dans les tissus des poissons, est particulièrement sujet à la bioamplification. Les poissons prédateurs comme le thon ou l’espadon contiennent souvent des concentrations élevées de méthylmercure.

4. Affinité des métaux lourds pour les tissus biologiques

Les divers contaminants ont une affinité chimique pour certains tissus biologiques des poissons. Le méthylmercure se lie aux protéines, en particulier celles contenant du soufre, comme dans les muscles. Cela explique pourquoi les poissons carnivores et ayant une masse musculaire importante présentent des niveaux élevés de mercure (thons, espadons, makaires…). Le cadmium et plomb s’accumulent principalement dans les reins, le foie, et parfois les os. Enfin, l’arsenic organique s’accumule dans les tissus mous, mais il est souvent moins toxique que les formes inorganiques.

5. Facteurs environnementaux

Les facteurs environnementaux peuvent également amplifier la contamination des poissons. En effet, la température de l’eau va avoir une incidence sur le métabolisme du poisson (la plupart des poissons sont des ectothermes : la température corporelle est fonction de la température du milieu de vie). Une eau plus chaude peut accélérer le métabolisme des poissons et augmenter ainsi l’absorption des contaminants.

Ceux-ci interagissent avec les ions présents dans l’eau salée, ce qui peut modifier leur biodisponibilité et leur absorption par les organismes marins. Une eau plus salée pourra être plus contaminante en métaux pour les organismes qu’une eau peu salée à pollution égale.

Enfin, les polluants se déposent sur les fonds marins, et sont principalement stockés dans les fonds sédimentaires (sables, vases). Les poissons benthiques, qui se nourrissent sur le fond sont particulièrement exposés aux métaux et POP’s présents dans les sédiments.

6. Interactions avec les Protéines et Enzymes

Les fonctions biologiques des poissons sont en grandes parties composées de protéines et d’enzymes. Les métaux peuvent là aussi interférer : les poissons produisent des protéines métallothionéines pour lier les métaux lourds et réduire leur toxicité. Cependant, lorsque les concentrations de métaux lourds dépassent la capacité de ces protéines, les métaux s’accumulent dans les tissus. Enfin, les métaux lourds peuvent perturber ou inhiber l’activité des enzymes essentielles au métabolisme, aggravant les effets toxiques. L’effet dose prend alors ici tout son sens !

Les sources de pollution par les métaux et POP’s

Plusieurs activités anthropiques sont des sources potentielles de métaux dans le milieu.

Les activités industrielles telles que la métallurgie, la chimie, et les centrales thermiques rejettent des métaux lourds dans l’environnement. Ces polluants finissent par se retrouver dans les cours d’eau, puis dans les mers et océans. Les rejets de munitions des deux guerres sont aussi une source potentielle de contamination par les polluants.

Secondairement, les activités agricoles : les engrais et pesticides contiennent souvent des traces de métaux, qui sont lessivés vers les milieux aquatiques.

Enfin le transport maritime, qui par son trafic intense de navires dans la Méditerranée contribue aux rejets de métaux, notamment via les peintures anti-fouling des coques de bateaux et par les rejets liés aux carburants, par exemple le souffre. A ce titre, l’abandon généralisé des essences plombées comme carburant automobile a eu un effet significatif sur la baisse du niveau des émissions en plomb.

Cependant, il est complexe d’attester l’origine humaine ou non de certaines contaminations, car les métaux sont naturellement présents dans la croute terrestre. Certaines activités naturelles, comme les éruptions volcaniques, ou l’érosion des sols peuvent également contribuer au relargage de métaux dans les eaux. En effet, il existe des exemples de niveaux de contaminations élevés dans des endroits faiblement impactés par l’activité anthropique.

Paradoxalement, il existe également des exemples où des métaux sont associés aux enzymes (ex. cuivre dans l’hémolymphe des crustacés), et donc des valeurs élevées ne sont pas le signe d’une contamination, mais au contraire de fonctions biologiques tout à fait naturelles.

Pourquoi les poissons de Méditerranée sont-ils plus pollués que ceux de l’Atlantique ?

Le bassin méditerranéen présente plusieurs spécificités par rapport à l’Atlantique, avec un bassin de type semi-fermé présentant un unique et étroit passage au niveau de Gibraltar. Le renouvellement des eaux est très faible (seule de l’eau profonde sort de la Méditerranée vers l’Atlantique). Ce faible renouvellement des eaux ralentit la dispersion des polluants, favorisant leur accumulation dans l’écosystème. En comparaison, l’Atlantique bénéficie de vastes courants océaniques qui diluent les contaminants.

 

Cette mer regroupe une densité de population et activités humaines très fortes. Les pays bordant la Méditerranée abritent environ 500 millions de personnes, avec une forte concentration urbaine et industrielle sur ses côtes. Cette pression anthropique est bien supérieure à celle exercée sur les côtes atlantiques, augmentant les rejets directs de métaux et POP’s dans la mer. Historiquement, la Méditerranée est bordée par des civilisations très anciennes où les activités minières et métallurgiques ont laissé un héritage de contamination. Ces pollutions historiques continuent d’affecter encore les sédiments marins.

La Méditerranée est également marquée par un niveau plus faible de production primaire par le plancton à la base des chaînes alimentaires. On parle d’oligotrophie. Cela contribue à des niveaux de mercure plus élevée, ce qui a fait dire à certains auteurs qu’il existait une « anomalie de mercure » dans cette mer.

Dans des conditions d’oligotrophie, il y a moins de phytoplancton. La quantité de mercure par cellule de phytoplancton est donc plus importante. De plus, les espèces de phytoplancton présentes dans ces conditions du milieu favorisent la synthèse du méthylmercure, c’est-à-dire la forme organique du mercure qui a une plus grande affinité pour les tissus biologiques. Enfin, les conditions de température (« thermo ») et de salinité (« halo ») du milieu font que la zone où se produit la méthylation du mercure par des bactéries (on parle de thermohalocline) est moins profonde. Le méthylmercure produit à cet endroit de la colonne d’eau est donc plus disponible pour les organismes, d’abord par bioconcentration par le plancton, puis par bioaccumulation et bioamplification dans l’ensemble de la chaîne alimentaire.

En plus, comme les conditions nutritionnelles sont plus limitantes, les organismes grandissent moins vite. A âge égal, un poisson méditerranéen est plus petit qu’un poisson du même âge de la même espèce péché en Atlantique. Cela contribue aussi à expliquer pourquoi les concentrations dans les tissus sont plus fortes : s’il grandit moins vite, le poisson « dilue » moins la dose de contaminant par la quantité de tissus qu’il produit. Comme les contaminations sont exprimées en concentration (par exemple en mg de contaminant par kilogramme de chair de poisson), la concentration est plus élevée.

Enfin, les concentrations de polluants peuvent différer selon le type de polluant et le niveau trophique de l’espèce dans la chaîne alimentaire :

L’arsenic :

Des concentrations plus élevées dans les poissons benthiques et démersaux par rapport aux poissons pélagiques, mais il n’existe pas de lien clair entre le niveau trophique et les concentrations pour l’arsenic. Néanmoins, des variabilités régionales peuvent intervenir, par exemple, des concentrations plus élevées pour le merlu dans la manche que dans le Golfe de Gascogne, et pour le chien de mer dans le Golfe du Lion que dans celui de Gascogne. L’impact potentiel est limité sur les réseaux trophiques marins, mais des études supplémentaires sur la spéciation et la biodisponibilité sont nécessaires.

Le Mercure :

Une accumulation est préférentielle dans les poissons benthiques et démersaux avec une biomagnification dans les réseaux trophiques observée dans le Golfe de Gascogne, mais pas dans la Manche. Des concentrations plus élevées ont été reportées dans le Golfe du Lion que dans celui de Gascogne pour le merlu. Ceci est attribuées aux conditions oligotrophiques du Golfe du Lion. Également, des concentrations plus élevées pour le maquereau dans la Manche que dans le Golfe du Lion ont été relevées, possiblement liées à la contribution benthique dans la Manche. Les niveaux élevés de mercure sont susceptibles de provoquer des effets biologiques dans les eaux françaises.

Cadmium et Plomb :

Des concentrations sont plus élevées dans les poissons à bas niveaux trophiques (ex. maquereau) et une biodilution observée dans les réseaux trophiques. Des concentrations sont plus élevées dans le Golfe de Gascogne que dans la Manche et Gascogne et sont influencées par les apports historiques des rivières Loire et Gironde. Cette persistance des sources historiques de contamination dans le Golfe de Gascogne nécessite des modèles plus précis pour évaluer leur impact.

Polluants Organiques Persistants POP’s (PCB et Dioxines) :

Une forte accumulation dans les poissons gras comme le maquereau et la sardine a été mesurée avec une biomagnification des PCB observée dans le Golfe de Gascogne, mais pas dans la Manche. Les PCDD/Fs, par contre, ne montrent pas de tendance claire à la biomagnification. Les concentrations les plus élevées sont dans le Golfe du Lyon, attribuées aux apports du Rhône (sources industrielles et urbaines). Un dépassement des seuils pour certains congénères de PCB (ex. CB118) dans toutes les régions, avec un risque toxique important.

Cas d’espèces spécifiques

Certains groupes taxonomiques présentent des concentrations plus élevées que les autres. C’est le cas en général pour les sélaciens (raies, requins) par rapport aux téléostéens (dorades, bar, rouget…) chez qui les concentrations de mercure, plomb, cadmium et arsenic sont supérieures mais dont les concentrations en POP’s sont plus faibles. Ces différences spécifiques sont attribuées à des particularités physiologiques et évolutives.

Conclusions

En conclusion, certaines espèces et régions présentent des niveaux de contamination plus élevés en raison de facteurs tels que la position trophique (ex. biomagnification pour le mercure et PCB), les caractéristiques géographiques et environnementales (ex. oligotrophie du Golfe du Lion, apports fluviaux dans celui de Gascogne) et les sources historiques de pollution (ex. activités industrielles dans le Rhône et la Gironde). Les impacts biologiques sont particulièrement préoccupants pour le mercure et les PCB, nécessitant des efforts de normalisation et des évaluations spécifiques par espèce et région.

Les conséquences pour la santé humaine et la biodiversité sont majeures : pour la santé humaine, la consommation de poissons contaminés expose les humains à des niveaux dangereux de métaux et POP’s, entraînant des effets toxiques sur le système nerveux, les reins, et le foie. Le mercure, par exemple, est particulièrement préoccupant en raison de sa forme organique, le méthylmercure, qui est hautement toxique, notamment au niveau cérébral, cardiovasculaire, rénale, immunitaire et reproductif. En termes de biodiversité, les métaux lourds perturbent les cycles biologiques des organismes marins, affectant leur reproduction, leur croissance, et leur survie.

Solutions et Perspectives

Une réduction des émissions par le renforcement des régulations sur les rejets industriels et agricoles, ainsi que promouvoir des pratiques maritimes plus respectueuses de l’environnement, sont essentiels pour limiter la pollution par métaux et POP’s.

De plus, des programmes de surveillance continue permettent d’identifier les zones les plus touchées et d’évaluer l’efficacité des mesures de gestion.

Enfin, une sensibilisation des consommateurs est essentielle. Il est important d’encourager la consommation de poissons moins contaminés et diversifier les sources d’approvisionnement peut réduire l’exposition aux polluants. Une consommation variée selon les espèces, les zones géographiques et une taille faible est importante.

Mais ces critères nécessitent une excellente traçabilité des produits issus de la pêche, chose qui est encore insuffisamment présente.

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Adhérents, pour toutes informations complémentaires : contact@poissonniers.com

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