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Les vertébrés, et plus précisément les poissons osseux, possèdent un ensemble de pièces calcifiées. Celles-ci peuvent être utilisées comme outil dans le but de retracer l’histoire de la vie de l’organisme étudié : c’est ce qu’on appelle la sclérochronologie. Il est donc permis de pouvoir estimer l’âge de l’organisme, mais aussi d’autres périodes charnières de sa vie à savoir la durée de la phase larvaire, les changements de milieux de vie, les variations du taux de croissance induits par les facteurs environnementaux (biotiques ou abiotiques) et les facteurs endogènes (ontogénie). La sclérochronologie s’appuie classiquement sur différentes types de pièces : les écailles (scalimétrie), les os (squelettochronologie) et les otolithes (otolithométrie) (Fig. 1). Néanmoins, les lectures les plus fines et précises se font sur ces dernières.
Figure 2. Structure de l’otolithe chez un poisson téléostéens (Schéma d’après Lasse Admundsen).
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Figure 3. Position des 3 paires d’otolithes à l’intérieur de l’oreille interne du poisson téléostéens, a : disposition de l’appareil vestibulaire en vue dorsale, b : vue des 3 canaux semi circulaires (d’après Seccor et al., 1992). | Figure 4. Structure de l’oreille interne d’un poisson téléostéens. (Image modifiée d’après Youyulehao). |
Les otolithes sont des pièces calcifiées et composées d’aragonite, une forme calcifiée de carbonate de calcium (CaCO3). Celle-ci est fixée sur une matrice organique composée d’otoline, une protéine ayant une structure proche de la kératine. Ces structures sont inertes métaboliquement, comparativement à d’autres pièces calcifiées et ne présentent pas des résorptions minérales ou remaniements comme les écailles pouvant être résorbées en cas de stress métabolique, carence en calcium ou régulations physiologiques spécifiques (reproduction, changement alimentaire…) par exemple. On retrouve ces mêmes mécanismes dans les dents, vertèbres, squelette et rayons des nageoires. Cette particularité autorise la collecte de données relatives à la vie du poisson, allant de l’éclosion jusqu’à sa mort. En effet, l’otolithe est déjà formé lors de l’éclosion, avec la présence du nucleus, et se développe par addition successive de couches concentriques de CaCO3 et de couches protéiques. La couche de CaCO3 est nommée « zone-L », ou zone sombre, et la couche de protéine est quant à elle nommée « zone-D », ou zone claire (Fig. 5). Ces stries (ou dépôts) sont plus généralement d’un rythme de stries journalières à annuelle chez les téléostéens. Les stries commencent à s’incrémenter dès lors que la cavité buccale s’ouvre et donc l’organisme commence à être autonome pour la prise de nourriture. En supplément des stries de croissances habituelles, des stries surnuméraires peuvent s’incrémenter à la suite de plusieurs évènements comme la ponte, les variations de l’environnement (salinité des masses d’eau rencontrées, températures, nourriture etc…), le métabolisme de l’individu (hormones, rythme circadien endogène).
Les changements de milieux pour les espèces diadromes (espèces vivant alternativement en mer et rivière pour la reproduction), comme le saumon, l’anguille, l’alose par exemple, induisent des dépôts spécifiques sur les otolithes. Ces marques sont constituées de stries plus denses et très rapprochées les unes des autres donnant ainsi l’impression d’une strie épaisse et large (Fig. 5). De manière identique, ce type de stries peut être présent lors des cas de métamorphose du poisson. Certaines espèces comme des gobies insulaires tropicaux indo-pacifiques ne présentent pas à ce jour de métamorphose lors du retour de la mer vers la rivière (phase nommée recrutement), mais uniquement une strie de recrutement visible sur l’otolithe. Il est donc aisé de pouvoir identifier la durée de phase larvaire marine (PLD) en comptant le nombre de stries entre le nucleus et la marque de recrutement. Il est à noter que la PLD est une estimation de la durée et non une donnée absolument exempte d’erreur de lecture. Cette PLD permet donc de connaître le temps passé par la larve en mer et le moment de son retour en rivière.
Figure 5. Coupe transversale d’un otolithe de Stenogobius genivittatus en visualisation microscopique (© Causse).
Outre le fait de pouvoir quantifier les phases larvaires par estimation des incrémentations, d’autres méthodes plus fines ont été développées depuis plusieurs années. Il s’agit d’analyses par microchimie. Ce type d’analyses permet également de pouvoir recueillir d’amples informations sur les milieux de vie que les poissons ont pu traverser lors de sa vie. Dans un premier temps, cela fût utilisé pour identifier une possible diadromie chez certaines espèces où l’estimation est difficile de visu sur les otolithes. Le dosage microchimique d’éléments chimiques tels que le strontium (Sr), calcium (Ca), le manganèse (Mn), le chrome (Cr), le cobalt (Co), le nickel (Ni) et le soufre (S), ce dernier étant utilisé pour compter les incréments de croissance. Il était admis jusqu’à présent que l'utilisation du ratio Sr:Ca permettait d’interpréter l'histoire de vie des poissons diadromes et plus particulièrement les changements de milieux. En effet, les analyses sont basées sur le fait que :
Son application pour les poissons diadromes permet l’identification des transitions environnementales où un pic du ratio Sr:Ca dans les otolithes indique un passage de rivière en mer, tandis qu’une baisse signifie l’inverse. Cela permet donc de révéler combien de temps un poisson a passé dans chacun des environnements. Néanmoins, la concentration de Sr dans certains bassins versants peut varier et peut devenir riche, faussant les calibrages entre les deux particules chimiques. Les processus biologiques, comme le métabolisme ou la croissance, peuvent également affecter l’incorporation de Sr indépendamment de l’environnement.
De très récentes études en 2024 par le Dr C. Lord et son équipe du Muséum national d’Histoire naturelle (2024), en collaboration avec la plateforme SOLEIL (centre français de rayonnement de Synchrotron à Saclay) a permis de mettre en évidence des capacités insoupçonnées des otolithes. En plus de s’intéresser aux éléments désignés précédemment, une attention s’est faite en plus des métaux lourds et le Zinc (Zn). Ce dernier est impliqué dans la croissance des otolithes et les processus de biominéralisation. Une comparaison entre chaque otolithe par paire et entre les différentes paires d’otolithes a été faite. Il en ressort que les informations globales en termes de Sr et de métaux lourds fournies par les deux otolithes d’une paire sont identiques et qu’un otolithe quelconque peut être utilisé pour récupérer de telles données globales. En termes de comptage des incréments de croissance basés sur le soufre, les nombres sont les mêmes entre deux otolithes du même type, mais les paires sagitta/lapillus présentent une différence significative. L’analyse à l’échelle hyperfine de la distribution des éléments révèle qu’un otolithe donné est sous le contrôle de mécanismes de croissance spécifiques, ce qui peut conduire à une incorporation élémentaire hétérogène. Ces résultats amènent donc à considérer les dynamiques de croissance des otolithes et les processus de biominéralisation dans le cadre d’une perspective en mosaïque fluide, donc un processus de minéralisation d’une structure d’éléments variés et distincts ni figé, ni uniforme mais dynamique et interconnecté.
En outre, il a été mis en évidence qu’une dépression de Ca marquait systématiquement le noyau ; les espèces amphidromes présentaient un enrichissement en Mn au niveau du noyau, et la sagitta se formait une semaine avant l'éclosion. Ces résultats illustrent des processus mécanistiques communs de formation des otolithes. Les signaux de Sr et des métaux lourds dans la zone pré-éclosion ont été comparés à leur signal dans la bordure des otolithes, une zone englobant la signature environnementale adulte en eau douce. Il a été constaté que les signaux de Co et Ni dans les otolithes n'étaient pas liés aux conditions environnementales, mais il serait intéressant d’examiner le Cr comme marqueur de l'environnement de vie précoce. Enfin, il a été mis en évidence d’une hétérogénéité de la distribution du strontium dans les otolithes, à un degré plus élevé que ce qui est généralement admis.
Ces méthodes innovantes et résultats offrent une base solide pour de futurs travaux et perspectives en biologie, écologie et conservation des poissons.