Quels poissons mangerons-nous en 2050 ?


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À quoi devons-nous nous attendre en 2050 ?

Par Romain Causse, ingénieur ichtyologue au Museum national d’Histoire naturelle, secrétaire de la Société Française d'Ichtyologie.


Les pays européens, et plus particulièrement la France, sont en situation de précarité économique et écologique face aux défis soulevés par leurs habitudes de consommation des produits aquatiques. Les français sont en effet de gros consommateurs avec 31,8 kg de produits aquatiques (pêche et aquaculture) soit 50% de plus que la consommation moyenne mondiale (20,5 kg).


Depuis les années 1980, la perte de vitesse de la production aquacole et la diminution importante des captures par la pêche dans la zone économique exclusive de la France ont engendré une forte dépendance de notre pays aux importations. Aujourd’hui, seuls environ 30% de nos besoins sont couverts par la production nationale et 83% des produits aquacoles consommés sont issus de l’importation

« De manière concrète, 4 poissons sur 5 consommés en France sont issus de l’importation ! » 

Aussi, les produits aquatiques représentent le 2nd plus grand déficit commercial de la France dans le secteur agroalimentaire et de manière chronique (4,6 Milliards d’euros en 2021 et 5,7 pour 2022) ! La France est ainsi le 5ème pays importateur et seulement le 22ème exportateur au niveau mondial. Plus largement, au niveau européen, la situation est similaire avec seulement 4,4% des captures mondiales (contre 53% pour l’Asie) et seulement 0,9% de l’aquaculture mondiale (contre 91,6% pour l’Asie). L’Union Européenne (UE) est ainsi le plus grand importateur de produits aquatiques au monde. 

« Le continent asiatique est de très loin le leader ! » 

Rien qu’à elle seule, la Chine regroupe 57,5% de la production aquacole en 2020 et 56% environ prévus en 2032. L’ampleur des productions chinoises est difficilement appréhendable pour les français, mais une comparaison fait mouche : le plus gros producteur Européen, bien connu de tous pour le saumon est la Norvège. Celle-ci ne représente que 1,21% au niveau mondial ! 

La démocratisation des sushis depuis une vingtaine d’années et la consommation quasi exclusive du quintet « saumon – thons – crevette – cabillaud – daurade » creuse de manière abyssale notre déficit commercial avec les pays étrangers et surtout hors UE. Il existe une insuffisance de nos productions et pire, une inéquation entre les espèces produites en France et les principales espèces consommées.

Au niveau mondial, la majorité des stocks de poissons sont pleinement exploités voire surexploités. Ceci a pour conséquence une impossibilité d’augmenter les captures malgré des efforts de pêche très souvent en augmentation (nouveaux navires plus performants, durée en mer allongée…). Par conséquent, pour répondre à la demande toujours croissante de produits aquatiques au niveau mondial, la seule solution est d’augmenter la production aquacole

Au vu du tableau bien sombre, le Haut-Commissariat au Plan(1) a donc relancé l’idée d’un développement de la production française aquacole. Même si des efforts conséquents ont été réalisés ces dernières années en termes de pêche durable (56% des espèces commercialisées en France), il reste néanmoins que 10% des volumes débarqués proviennent toujours de stocks effondrés et regroupent les espèces les plus consommées en France. Cette tendance va s’accentuer d’autant plus avec les changements globaux, dont le réchauffement climatique, raréfiant des espèces « patrimoniales » pour les consommateurs comme le cabillaud. Le réchauffement des eaux, l’acidification, la raréfaction des sources de nourritures, etc…tendent à diminuer les aires de répartitions de certaines espèces (principalement d’eau froide), leur reproduction et croissance. Le Groupe d’Experts Intergouvernemental sur l’Evolution du Climat (GIEC) estime une possible réduction de 5 à 7% du potentiel de captures d’ici 2050 au niveau global mais au niveau européen, les projections suggèrent plutôt une réduction de l’abondance de la plupart des stocks de poissons commerciaux de 35%, voire même 90% sur certains stocks (ex sardines, maquereau, hareng) !

C’est dans cette optique de régression de consommation d’espèces sauvages que la France a une carte à jouer et cela pour plusieurs raisons :

Premièrement, la France a la seconde Zone Économique Exclusive (ZEE) au monde derrière les Etats-Unis avec près de 11 millions de km², auxquels s’ajoutent, 620.000 km de rivières et 120.000 étangs en Métropole et Outre-Mer. Ce réseau hydrographique et maritime est presque unique au monde. Malgré cela, très peu de fermes aquacoles sont disposées le long de nos côtes et sur le milieu continental, avec une majorité d’entre elles constituées d’activités familiales à faibles volumes (TPE et PME moyennes), principalement issues de la conchyliculture et salmoniculture (culture des Salmonidés : truites, ombles, saumons).

Secondairement, la France a un historique de recherche et développement en termes d’aquaculture : une culture ancestrale existe depuis le Moyen Âge (carpe, gardon) et se développe réellement dès 1840, puis une première impulsion en 1850 sous Napoléon III avec la première pisciculture industrielle d’Europe pour les Salmonidae et un début de la conchyliculture. En 1880, sont introduits des Salmonidés en provenance des Etats-Unis (truite arc-en-ciel) permettant un second essor. Enfin, la pisciculture moderne en France avait débuté dès 1960 pour devenir en 1980 le premier producteur mondial de truites arc-en-ciel. Malheureusement, le virage dans les années 1980 a été raté avec l’avènement de l’aquaculture nouvelle du saumon. Un long et inexorable effondrement de la pisciculture française (truites et autres espèces) depuis lors se réalise (division par quatre de la production piscicole ces 20 dernières années).

Fort de ce réseau hydrographique continental d’étangs et de rivières, un développement ambitieux de ce type d’activité permettrait à la France de reprendre en main une partie de sa souveraineté alimentaire. En effet, plusieurs organismes de recherche et industriels français reconnus mondialement pour leurs expertises (INRAE, IFREMER, Faivre, Biomar…) se sont intéressés à l’évolution des techniques d’élevage en France. Un des principaux freins à l’expansion des piscicultures en métropole est la source protéique des aliments des poissons élevés. De récents travaux de l’INRAE ont montré que le remplacement des farines de poissons de l’ordre de 75% par des farines végétales étaient possible, à cela s’ajoute une sélection génétique des espèces domestiquées pour augmenter les croissances et diminuer les empreintes écologiques, et l’avènement de nouvelles sources de nourritures protéiques (à base d’insectes), moins sujettes à la pollution aux métaux lourds que les farines de poissons issues de la pêche (Mer du Nord notamment).

Actuellement de nouveaux types d’élevages de poissons se développent et présentent un impact environnemental plus faible : il s’agit de l’Aquaculture Multi Trophique Intégrée (AMTI). Celle-ci couple l’élevage de poissons avec d’autres organismes (végétaux et animaux), permettant une utilisation plus optimale de la matière organique et de l’énergie : les rejets des uns sont réutilisés par les autres comme source trophique. 

Cette méthode est plus économique à long terme que les monocultures aquacoles. Des exemples d’AMTI existent déjà comme l’aquaponie qui permettrait de produire 20 tonnes de truites et 60 tonnes de produits frais (salades …) (prévisions faites pour l’aquaponie « Les Nouvelles Fermes » à Mérignac). Ce type d’élevage peut présenter des intérêts écosystémiques majeurs : des études ont montré que pour les élevages en étang, 39 services relatifs à l’écosystème pouvaient être relevés (dépollution, lutte contre l’hypoxie et acidification etc…). Ceci est encore plus particulièrement vrai pour l’algoculture. Ce type de culture encore marginale en France, du fait d’absence de forte culture culinaire des algues, présente l’intérêt économique le plus porteur avec des retombées potentiellement très fortes tant au niveau économique, que pour l’environnement (cf. la part immense de la culture des algues en Asie). Pareillement, comme nouveau type de culture, on peut nommer le Système Aquacole à Recirculation (RAS) qui permet d’économiser plus de 90% du volume d’eau en réutilisant l’eau issue des bassins d’élevage. Ce système est déjà utilisé pour certains élevages de saumon norvégiens à terre mais à des coûts énergétiques extrêmement élevés pour des volumes encore très limités au niveau mondial. De plus, l’installation de ce type d’usines à poissons le long du littoral, zones géographiques principalement utilisées par l’industrie touristique, rendrait une acceptabilité sociale plus qu’hypothétique, sans évoquer de surcroit les lobbies écologistes et autres associations sur la souffrance animale.

« Cependant, le cadre réglementaire français, en matière d’aquaculture impose des standards plus stricts que la majorité des autres pays producteurs et garantissent aux produits français une qualité supérieure en terme organoleptique mais aussi d’impacts environnementaux. » 

Cette activité est beaucoup moins polluante que d’autres activités aquatiques (extractions d’hydrocarbures, gisements marins de sable et granulats, tourisme…) mais certains risques demeurent et sont à améliorer (rejets biologiques, parasites, bien-être animal…). Des directives européennes pourraient accentuer les lignes directrices afin de limiter les distorsions entre états membres (avec la Grèce et Espagne notamment). Des labels sur la durabilité permettent la mise en avant des produits dignes d’intérêts avec des conditions d’élevages plus respectueuses des animaux et de l’environnement. Néanmoins, cette aquaculture demeure chère et actuellement, vu les conditions géopolitiques impliquant une énergie chère, le développement à plus grande échelle parait difficile. Les pays dans lesquels celle-ci est très fortement développée ont des coûts de main d’œuvre plus bas, peu ou pas de protections sociales pour les employés, une demande environnementale quasi absente et surtout produisent d’autres types d’espèces qu’en occident. Bon nombre d’espèces herbivores/omnivores sont très largement consommées (tilapia, panga et autres poissons chats, poisson lait, carpe, mulets…). Ceux-ci s’élèvent plus rapidement, à moindre coûts (beaucoup moins de farines de poissons) et dans des eaux pouvant être à la limite de l’eutrophisation ! Ce type d’élevage n’est pas transférable en France de par le cadre réglementaire mais aussi par un refus sociétal. Cependant, on peut s’interroger sur la justification de n’acheter que quelques rares espèces carnivores, délaissant une majorité d’espèces facilement élevables. Sans aller dans ces excès, il est malheureusement nécessaire de réaliser un changement de paradigme en termes de consommation avec une promotion des élevages de poissons moins « nobles » que le bar, dorades, cabillaud et turbot…mais vers d’autres tels que carpes et autres cyprinidés, mulets …ainsi que d’autres organismes aquatiques (mollusques, algues) à croissance rapide et à élevage extensif, donc sans intrants (nourriture).

Enfin, en complément, nous devons promouvoir autant que possible les pratiques durables des pêcheries pour continuer à avoir accès à des espèces sauvages, de respecter les saisonnalités de reproduction (instauration de réglementations de pêche sur les frayères) et de promouvoir l’instauration de réserves marines intégrales sans activités humaines. Il est aussi important que les consommateurs et acteurs de la filière considèrent de la même manière, à savoir un met de choix, un poisson sauvage « noble » et une espèce dite « moins noble », d’abandonner l’idée que le poisson sauvage peut être perçu comme du poulet de batterie traversant le monde à grands coûts de CO2 pour des restaurants d’entreprise, chaînes de junkfood et cantines scolaires (qui souvent sont insipides tant ils sont mal préparés et dégoutent nos enfants !).  

Infographies et données : Haut-Commissariat au Plan, Stratégie n°16, 30 novembre 2023. - Le développement de l’aquaculture : un enjeu de souveraineté alimentaire.

(1) Le Haut-commissaire au Plan est chargé d’animer et de coordonner les travaux de planification et de réflexion prospective conduits pour le compte de l’Etat et d’éclairer les choix des pouvoirs publics au regard des enjeux démographiques, économiques, sociaux, environnementaux, sanitaires, technologiques et culturels.

(2) Le GIEC a été créé en 1988 par 2 institutions des Nations Unies (l’OMM et le PNUE) avec pour objectif d’évaluer de manière objective l’évolution du climat, ses causes et ses impacts. Sans être un laboratoire, c’est un lieu d’expertise collective qui s’appuie sur tous les travaux menés